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Depuis que je suis ici, j’ai vu passer plusieurs familles. Il y a eu des familles de toutes les sortes.
J’ai vu de grands bonheurs et de grands malheurs. C’est ainsi, c’est mon métier.
La première famille qui m’a habitée, c’était un couple de commerçants avec trois enfants.
Des gens sympathiques, des enfants calmes et gentils. Ils s’occupaient bien de moi et faisaient
souvent le ménage. J’étais toute jeune à l’époque. Mais les enfants ont grandi et sont partis dans
une autre maison. Et les parents ont décidé de vivre au soleil, ce qu’ils avaient toujours voulu.
Alors, ils m’ont vendue.
Une autre famille est arrivée, la deuxième. C’était un couple normal avec deux enfants
normaux. Ils avaient aménagé la décoration des pièces de façon totalement normale,
c’est-à-dire impersonnelle. Les parents travaillaient beaucoup et étaient peu présents.
Ils ne recevaient jamais personne chez eux. Notre relation était purement fonctionnelle.
Après quelques années, ils ont acheté une maison plus grande. Ils sont partis sans tristesse,
sans vraiment penser à moi. Une autre page se tournait.
Après, un jeune couple avec deux petits garçons est arrivé ; c’était ma troisième famille. J’avais
vieilli et j’étais un peu déçue par la famille précédente. Alors, je ne souhaitais pas créer de vrais
liens avec eux. Mais, dès leur arrivée, ils ont commencé les travaux. Ils y ont passé des heures
et ont travaillé avec enthousiasme. Ils ont créé un bon climat et ma tristesse a disparu.
J’étais étonnée d’être à nouveau heureuse. J’avais l’impression d’appartenir à cette famille.
Aujourd’hui, à nouveau, ils sont tous partis. Au début, les enfants, qui aimaient ces murs,
ne voulaient pas vendre. Mais comme ils travaillaient loin, aucun ne pouvait y vivre. Avec
les années, les mauvaises herbes ont envahi le jardin. Le toit a commencé à avoir des trous.
Je me sentais seule, abandonnée. Et puis, un matin de mai, j’ai vu arriver les garçons avec leur
propre famille. Ils se sont mis au travail. Ils ont rangé, nettoyé, bricolé. Je pensais qu’ils
voulaient me vendre parce que je coûtais trop cher. Mais ils sont revenus le weekend suivant,
puis celui d’après. Ils ont passé ici tout l’été.
Depuis, j’attends chaque weekend et les vacances avec impatience. Je sais qu’ils vont arriver.
Les enfants joueront dans le jardin, pendant que les adultes raconteront des anecdotes du passé
ou parleront de projets d’avenir. Oh, je sais que je vais de nouveau assister à de grands bonheurs
et à de grands malheurs. C’est ainsi, c’est mon métier.
d’après short-edition.com